Je crois que j'ai dû acheter mon Atari 1040 en 1987 à Fribourg. C'était une machine révolutionnaire, qui offrait une interface graphique avec souris sous TOS GEM. On y trouvait absolument tout ce qui commençait à faire le succès de l'Apple IIe, mais avec en plus la couleur et le petit prix.
Car l'Atari coûtait la moitié du prix de l'Apple, et un tiers de celui d'un des premiers Macs. Le sommet était même qu'on pouvait acheter un émulateur physique du Mac, le Spectre. C'était un petit boîtier enfiché dans un des ports de l'Atari et qui lui permettait de faire tourner les programmes Apple. Donc, avec un Atari à 1'500 francs et un émulateur à 300 francs, vous pouviez avoir l'équivalent d'un Mac qui valait 5'000 francs, et en plus rapide, et en couleurs.
L'Atari était une machine compacte. Cela signifie que l'unité centrale était comprise dans le clavier, auquel était relié l'écran. C'était un grand avantage de taille et de poids également.
Malheureusement, Atari a connu les mêmes problèmes qu'Osborne. Alors que les machines se sont succédées sans heurt pendant une année ou deux, il y a eu ensuite emballement. Je m'étais d'abord acheté le modèle supérieur, le Méga 2, puis le Méga 4. C'était une construction plus conventionnelle, avec une unité centrale, un clavier, un écran, et surtout la possibilité d'ajouter un disque dur. J'en ai acheté un de 5 Mb, ce qui était une capacité ahurissante à une époque où les programmateurs étaient capables de comprimer un logiciel complet de traitement de texte en 200 Kb !
Le problème avec ce disque dur, c'était d'une part qu'il était très fragile, et d'autre part qu'il communiquait mal avec l'unité centrale. Sa fragilité provenait de ce qu'il n'y avait pas un système automatique de parcage des têtes de lecture. Si vous aviez le malheur de bouger un tout petit peu le boîtier avant d'avoir faire tourner le programme de parcage des têtes, celles-ci touchaient le disque. Cela rendait inutilisable le secteur touché, et vous deviez faire une procédure de mise à l'écart de ces secteurs pour ne pas risquer de stocker vos données sur une zone illisible.
La mauvaise communication se traduisait par le fait que vous deviez suivre toute une procédure au moment de la mise en marche pour être sûr que votre unité centrale soit avertie qu'il y avait un disque dur, et qu'elle établisse le contact. Si vous manquiez ce rendez-vous au moment de booter, c'était perdu, il fallait tout arrêter et recommencer l'amorçage.
A la longue, ces bricolages sont devenus fastidieux et, lorsque j'ai dû me convertir au monde DOS en arrivant au bureau du PS Vaudois, je me suis résolu à m'acheter également un PC pour la maison. Il faut dire que les PC avaient des disques durs intégrés qui facilitaient bien la vie. Mais j'ai regretté la poésie de mes Atari. Lorsque je me suis décidé à les liquider, je les ai mis au débarras des objets encombrants accompagnés de tous les manuels et disquettes des logiciels, le tout bien emballé, avec claviers et écrans. En dix minutes, le tout a été récupéré par un voisin et ce matériel n'a donc pas disparu dans un camion-benne... en tout cas pas ce jour-là.
L'Atari 1040 et ses successeurs étaient des machines très puissantes et efficaces. Une machine similaire était le Smaky, un ordinateur développé par un professeur de l'EPUL (devenue l'EPFL) et qui a connu son heure de gloire dans les écoles vaudoises à la fin des années 80 et au début des années 90. Lui aussi pouvait faire de la musique, du graphisme, avait une souris et une interface intelligente. Malheureusement, face au Mac, sa faible diffusion et le peu de développements réalisés par l'équipe de l'EPFL l'a fait mourir.
Avec mon Atari, je réalisais, avec l'un des premiers logiciels professionnels de PAO, le Bloc-Notes du Parti socialiste veveysan. C'était un 8 pages que je faisais entièrement moi-même, avec cette PAO encore primitive qui m'obligeais à verrouiller pratiquement chaque ligne une fois que j'avais fait ma mise en page pour éviter de tout bousculer lors d'une inclusion ultérieure de photos ou de textes.
Ensuite, je tirais un original sur mon imprimante NEC-P7 à 24 aiguilles à haute densité. Et cet original était ensuite utilisé par l'imprimerie comme flanc pour tirer les 8'500 exemplaires de ce périodique qui était distribué tous ménages sur Vevey par des porteurs bénévoles membres du parti. Mais, pour que cet original soit de qualité suffisante, il fallait que je mette l'impression de mon Epson en très haute densité, ce qui était très lent: la tête de 24 aiguilles devait passer deux fois sur chaque partie de ligne. Elle faisait un bruit strident, quasi insupportable quand on était à proximité.
Pour imprimer les 8 pages du BNV, il me fallait environ 8 heures ! Je lançais donc ce travail tard le soir dans le salon de notre appartement de l'av. Nestlé, et j'essayais ensuite de dormir avec Catherine dans la chambre à coucher, qui n'était séparée du salon que par une double porte battante ! C'est dire que l'exercice était difficile. De plus, il arrivait que je constate, le lendemain matin, que l'imprimante avait reçu un code inattendu de l'ordinateur, ce qui l'avait fait se décaler d'une ligne. Les 8 pages se retrouvaient complètement décalées et à cheval sur les saut de pages, puisqu'à l'époque on imprimait naturellement sur du papier en continu avec des imprimantes à picots latéraux.
Ce sont des souvenirs émouvants de mon Atari, une belle machine que j'ai malgré tout eu de la tristesse à voir disparaître, par manque de réalisme dans la production des nouveaux modèles.